«Nous sommes constamment en contact avec nos vêtements; ils sont vraiment notre seconde peau », affirme Carolyn Mair, psychologue cognitive qui a fondé le département de psychologie de la mode au London College of Fashion. Ce lien intime entre ce que l’on porte et la psyché est l’essence même du concept de cognition enclavée. Lorsqu’on s’habille, on ne se contente pas tout simplement de se couvrir le corps, mais on s’enveloppe d’identité, de confiance en soi et d’émotions. Chaque vêtement qu’on choisit agit comme bouclier psychologique, influençant la façon dont on se perçoit et la façon dont autrui nous perçoit. C’est aussi la raison pour laquelle on a tous un pull de cachemire élimé préféré, ou une vieille paire de jeans qu’on enfile pour se sentir instantanément mieux quand on est d’humeur maussade. Ou alors, on choisit une veste taillée à la perfection pour être perçue en position d’autorité. La blouse médicale que portent certains médecins, ou non, vient aussi à l’esprit. À qui fait-on le plus confiance lors d’un rendez-vous médical?
Il existe un lien puissant entre le vêtement et la façon dont on se sent. Il est important de reconnaître les retombées psychologiques de la mode, car ceci nous permet de faire des choix éclairés pouvant avoir un impact positif sur notre santé mentale. En étant conscients de la façon dont différents styles, couleurs et coupes affectent notre humeur et notre perception de nous-mêmes, on peut donc se servir de la mode comme outil pour prendre soin de soi et se sentir mieux, émotivement.
S’habiller pour réussir: comment les vêtements façonnent confiance et ambitions de vie
«Lorsqu’on rencontre une nouvelle cliente, explique Max Valmont, cofondateur et styliste personnel de Les Deux X Stylisme Privé, une agence de stylisme personnel basée à Montréal, l’une des premières questions qu’on lui pose est l’image qu’elle souhaite projeter. A-t-elle des objectifs précis qu’elle n’a pas encore atteints? Des fois, ça n’a rien à voir avec la mode. Ça peut être trouver un nouveau conjoint, ou décrocher l’emploi de ses rêves. C’est important de savoir comment les gens se sentent dans leur vie, en général, pour pouvoir les guider dans leurs choix vestimentaires. Parler de mode et de santé mentale est l’un des piliers de notre agence ».
Jusqu’à très récemment, la plupart des magazines de mode se contentaient plutôt d’étaler les tendances de l’heure et miser sur l’aspect esthétique des vêtements et des accessoires. Mais on commence maintenant à comprendre que la relation que l’on entretient avec les vêtements est beaucoup plus complexe que cela. Et trouver son style personnel pour mieux se définir et naviguer dans le monde de plus en plus complexe qui nous entoure est essentiel.
Lorsqu’on porte un vêtement qui rehausse notre style et renforce la confiance en soi, on ressent une cascade d’émotions positives. On n’a qu’à demander à quiconque choisit une robe de soirée spectaculaire pour un événement mondain comment elle se sent. Le seul fait de se sentir bien dans ses vêtements peut contribuer au bien-être et même à la santé mentale en général.
Les beaux vêtements et accessoires sont des outils pour s’exprimer qui nous permettent de rehausser notre personnalité et notre créativité. En choisissant des tenues qui font écho à notre moi intérieur, on crée un lien entre notre apparence et nos émotions. Alors, la prochaine fois qu’on choisira une tenue incroyable, on se souviendra qu’on ne fait pas qu’embellir son apparence; on nourrit aussi son bien-être.
Ceci dit, autant la mode peut être un outil précieux pour prendre soin de soi, autant les choix qu’on peut faire à l’occasion pour plaire aux autres, ou chercher à être validé, peuvent être désastreux pour notre propre santé mentale. Le terme qui vient immédiatement à l’esprit est celui de «victime de la mode». Et c’est loin d’être superflu. Les implications et les ramifications de s’habiller pour plaire aux autres sont à la fois psychologiquement douloureuses et laissent des cicatrices.
Êtes-vous une victime de la mode? Le fardeau psychologique caché de la course aux tendances
Si le terme fashion victim est devenu ultra-populaire dans les années 80 et 90 – avec un penchant quasi humoristique – à une époque où la société de consommation a déclenché une cascade frénétique d’achats mode, pas nécessairement pour se vêtir, mais comme instrument de pouvoir et symbole de revenu discrétionnaire important (via le crédit facile, ou non), l’expression provient en fait du milieu du 19e siècle. Mais c’est véritablement dans les années soixante-dix que le terme a commencé à apparaître régulièrement dans la presse mode comme un avertissement, rappelant qu’il faut trouver un équilibre entre tendances et style perso.
Alexandra Fusco, designer de mode senior pendant les cinq dernières années de sa carrière et créatrice de contenu sous le nom Alextangerine sur Instragram, comprend bien la dichotomie entre être fan de mode et esclave de chaque nouvelle tendance qui fait son apparition. Et, pour elle, oui, la mode peut nuire à la santé mentale, « en particulier chez certaines personnes qui peuvent avoir une sorte de traumatisme sous-jacent, et qui vont être les premières à se précipiter pour acheter tout ce qui est nouveau; ce qui conduit naturellement à la surconsommation. Je pense que vouloir acheter continuellement de nouvelles choses révèle un trouble de la personnalité. En revanche, lorsque quelqu’un connaît bien son propre style et se sert de nouveautés pour communiquer son idée de la mode, je trouve ça fantastique! Il y a donc deux côtés de la médaille dans la question: la mode est-elle bonne pour la santé mentale?»
«Le corps est fait pour être célébré sous toutes ses formes», nous rappelle Max Valmont. «En tant que styliste personnel, il est important pour moi de mettre en valeur ce que le client aime et d’oublier ce qu’il n’aime pas dans sa silhouette. Ce qui est génial avec la mode, c’est qu’elle offre des outils pour raconter son histoire sans prononcer un mot. On le fait pour soi, avant tout, pour créer le récit de son style. C’est l’une des plus grandes qualités de la mode».
Vous ne savez pas quoi dire ou comment l’exprimer? Faites-vous conseiller par un styliste de mode professionnel pour révéler comment vous vous sentez à l’aide des vêtements et des accessoires!
Le bien-être vestimentaire : comment la mode booste santé mentale et émotionnelle
Lorsqu’on entend dire que la mode est quelque chose de superficiel, c’est que la personne exprimant cet énoncé n’a rien compris de la relation tacite et ultra-importante entre le vêtement, l’identité et le bien-être émotionnel. Les vêtements que nous choisissons de porter sont (très) souvent le reflet de notre moi intérieur, offrant aux autres un aperçu de notre humeur, de ce qui nous habite, et de notre personnalité. Pour plusieurs, s’habiller est beaucoup plus qu’une banale routine du quotidien: c’est une action visant à exprimer qui l’on est. Un acte de rébellion, dans certains cas. Ou le fait de vouloir incarner un certain personnage, selon la journée, dans sa propre vie. C’est ce que j’appelle l’art d’être en vie.
Comme peuvent en témoigner tous ceux qui s’intéressent, de près ou de loin, aux arts de la communication, la mode est l’un des outils les plus importants dans la communication non verbale, car elle permet de révéler notre personnalité authentique sans prononcer un seul mot. Il suffit de penser à la façon dont le rose et l’arc-en-ciel sont devenus presque indissociables des communautés LGBTQ.
En théorie de la communication, le rose et l’arc-en-ciel fonctionnent à la fois comme signifiants et signifiés en sémiotique, véhiculant des significations culturellement construites.
Le rose lui-même, qu’il soit présent dans le vêtement, les objets ou l’imagerie, est le signifiant. C’est la forme physique ou visuelle que l’on reconnaît avec nos sens. Les significations, ou concepts, associés au rose peuvent varier en fonction du contexte et de la culture. Traditionnellement, dans les sociétés occidentales, le rose est synonyme de féminité, de tendresse, ou rappelle l’enfance. Toutefois, ces dernières années, il a également été associé à la neutralité des genres et à l’autonomisation (comme dans les mouvements féministes). La signification du rose varie donc en fonction du contexte culturel et situationnel.
L’arc-en-ciel a également de multiples significations culturelles. Il peut symboliser la diversité et l’inclusion, notamment lorsqu’on l’associe aux communautés LGBTQ+, où il représente la fierté et on célèbre diverses orientations sexuelles et identités de genre.
Dans ces deux exemples, le lien entre le signifiant (la couleur rose ou l’arc-en-ciel) et le signifié (les significations culturelles telles que la féminité ou la fierté LGBTQ+) est arbitraire : il n’y a pas de lien naturel ou inhérent entre ces signes et leurs significations. Les significations sont créées et façonnées par les contextes culturels et sociaux, montrant comment les signifiants et les signifiés se complètent pour communiquer des messages plus profonds et souvent nuancés dans nos sociétés.
Dans le même ordre d’idée, le concept de dopamine dressing, qui met en valeur les bienfaits psychologiques de la mode, s’inscrit dans la lignée de la « feel-good fashion ». Il s’agit de porter des vêtements qui rendent heureux, donnent confiance ou dynamisent le mental. Les recherches démontrent que certaines couleurs, textures et styles peuvent libérer de la dopamine, l’hormone bien-être du cerveau, ce qui rehausse l’humeur. Les couleurs vives, les motifs audacieux ou même une tenue ayant une valeur sentimentale peuvent tous avoir une fonction thérapeutique afin d’améliorer la santé mentale.
Ceux qui prétendent que la mode est superficielle oublient peut-être à quel point elle est liée à la perception qu’on a de soi et à l’état émotif qui nous habite. Loin d’être anodins, les vêtements jouent un rôle essentiel dans la façon dont on se sent au quotidien, ce qui en fait des éléments très importants dans la quête d’identité personnelle et de résilience émotionnelle.
Alors, qu’est-ce que votre tenue raconte sur vous, aujourd’hui?